Les témoignages consignés de la Croix de Migné

Les témoignages les plus fiables sont évidemment les plus fraichement consignés après l'observation. On peut légitimement douter de la valeur de témoignages révéles des années après, et regretter qu'il n'y ait pas eu de témoignages consignés immédiatement. En fait le document le plus proche dans le temps est le premier rapport à l'évêque de Poitiers, suivi par les 23 témoignages relevés par la commission d'anquête, malheureusement un mois après l'observation.

Selon l'abbé Vrindts:

Cependant le 22 du mois de décembre, qui était un vendredi, cinquième jour depuis l’apparition , MM. Pasquier et Marsault retournèrent à Migné afin d'y célébrer un service solennel pour tous les défunts de la paroisse. Quoique ce fût un jour ouvrable plus de douze cents fidèles assistèrent à la cérémonie. Après le service ces messieurs engagèrent ceux des habitans qui savaient écrire à se transporter à la maison curiale pour y signer le procès-verbal qu’ils venaient de dresser sur l'événement du dimanche précédent. Ils leur demandèrent de nouveau s'ils croyaient que l'apparition fût surnaturelle : tous répondirent unanimement qu’ils la regardaient comme miraculeuse, et qu’ils étaient prêts à signer leur témoignage vingt fois pour une.
Vrindts, La croix de Migné vengée de l'incrédulité et de l'apathie du siècle, Librairie ecclésiastique de Rusand, 1829, page 28
Note: Il est douteux que 1200 personnes aient pu assister à un office dans une église de 150 m² ne pouvant accueillir que 500 ou 600 personnes. Nous pouvons néanmoins admettre que plus de 40 témoins étaient certains du caractère miraculeux de l'apparition. Mais un mois plus tard, on n'en trouvera plus que 23 pour consigner leur témoignage par écrit.

PREMIER RAPPORT.
C'est le procès verbal qui vient d'être mentionné.

Monseigneur,
  Nous, soussignés, Pasquier, curé de Saint-Porchaire, et Marsault, aumônier du collège royal de Poitiers, réunis depuis un mois et demi à M. Bouin-Beaupré, curé de Migné, pour donner à ses paroissiens les exercices du jubilé, avons l'honneur de faire part à votre grandeur de l'événement extraordinaire dont nous avons été témoins à la clôture de notre station. La docilité et la ferveur du plus grand nombre des habitans de cette commune nous consolaient de nos travaux; mais nous avions encore à gémir sur la résistance de plusieurs, qui rendaient nuls pour eux les efforts de notre zèle. Le dimanche 17 du présent mois nous avons terminé les exercices du jubilé par la plantation d'une croix, cérémonie à laquelle assistaient deux à trois mille personnes de Migné et des paroisses voisines. La croix plantée, au moment où l'un de nous adressait aux fidèles une exhortation, où il leur rappelait celle que virent autrefois Constantin et son armée en marchant contre Maxence, parut dans la région inférieure de l'air, au-dessus de la petite place qui se trouve devant la porte principale de l'église, une croix lumineuse élevée au-dessus du niveau de la terre d'environ cent pieds, ce qui nous a donné la facilité d'en évaluer à peu près la longueur, qui nous a paru être de quatre-vingts pieds: ses proportions étaient très régulières, et ses contours, déterminés avec la plus grande netteté, se dessinaient parfaitement sur un ciel sans nuage, qui commençait cependant à s'obscurcir, car il était près de cinq heures du soir. Cette croix, de couleur argentine, était placée horizontalement dans la direction de l'église, le pied au-levant et la tête au couchant; sa couleur était la même dans toute son étendue, et elle s'est maintenue sans altération près d'une demiheure. Enfin la procession étant rentrée dans l'église cette croix a disparu.
  On ne peut, monseigneur, se faire une idée du saisissement religieux qui s'est emparé des spectateurs à l'aspect de cette croix; presque tous se sont à l'instant jetés à genoux en répétant avec transport, et les mains élevées au ciel, le cantique Vive Jésus, vive sa croix!
  Ce prodige, que nous attestons, qu'attestent avec nous les soussignés, et que sont prêts à attester avec eux tous ceux qui ont été témoins oculaires, a produit d'heureux effets : dès le soir même, et encore plus le lendemain, plusieurs personnes qui s'étaient montrées rebelles à la grâce se sont approchées du tribunal de la pénitence, et se sont réconcilées avec Dieu. »
  Pasquier, curé de Saint-Porchaire; Marsault, aumônier du collège royal; Bouin-Beaupré, curé de Migné; de Curzon, maire de Migné; Naudin, adjoint; Marrot, fabricien; Sursault, fabricien; Landry, marèchal-des-logis de la gendarmerie à Poitiers; Fournier, ancien adjudant sous-officier, et quarante-une autres signatures.
Migné, le 22 décembre 1826.

  Certifié conforme à la minute déposée au secrétariat de l'évêché,
    Pain, chanoine-secrétaire.

Le 16 janvier 1827, l'évêque de Poitiers nomma une commission d'enquète qui interrogea 23 témoins en 5 jours. Nous avons numéroté ces témignages.

PREMIER JOUR D'ENQUÊTE.

PREMIER TÉMOIN. (1)
Il était placé sur le calvaire, du côté de l'église: il a déclaré que tandis que M. Marsault prêchait sur l'érection de la croix, et rapportait le fait arrivé à Constantin, on lui a fait apercevoir une croix qui se montrait dans les airs: cette croix lui paraissait formée par deux pièces d'une espèce de solide un peu arrondi, l'une et l'autre d'égale largeur dans toute leurs parties, et se coupant réciproquement en équerre de manière à former une croix bien régulière, et dont chaque bras paraissait égal à la tête et moins long que le pied. Ces deux pièces étaient bornées suivant leurs longueurs par des lignes droites; la croix lui paraissait couchée et avait le pied au-dessus du pignon de l'église où est la porte, et la tète sur la maison du moulin. La couleur de la croix n'avait rien d'éblouissant; elle était demi-blanc argenté et partout uniforme. Toutes ces choses sont restées exactement dans le même état jusqu'au moment où il est rentré dans l'église : pour voir la croix il était obligé d'élever les yeux plus près du haut du ciel que les objets terrestres les plus éloignés. Le témoin a remarqué que cet événement a produit beaucoup d'émotion dans l'assemblée, et que plusieurs personnes indifférentes jusque là pour la. religion se sont empressées de recourir aux sacremens.

SECOND TÉMOIN. (2)
Ce témoin était placé au nord du calvaire, à une distance de douze pieds environ : averti par un signe du prédicateur, il a regardé au ciel, et a vu une croix parfaitement formée, dont le montant et le travers lui paraissaient comme des pièces un peu arrondies, ayant environ dix-huit pouces de largeur et d'épaisseur, et se coupant bien d'equerre l'une et l'autre, les deux bras egaux entre eux, et la tête de la croix était environ le quart du pied en longueur. La couleur de la croix n'avait aucun eclat éblouissant, était partout uniforme, d'un blanc argenté; le pied de la croix lui paraissait situé au-dessus du pignon qui forme le devant de l'église et à la hauteur du clocher, le corps principal rencontrait les bras un peu au dehors du cimetière. Cette croix était formée exactement lorsqu'il a commencé à l'apercevoir, et il était environ trois quarts d'heure après le coucher du soleil; il a observé cette croix pendant environ une demi-heure sans qu'elle ait changé de couleur et de situation. Le témoin, arrivé à la porte de l'église, voit la croix dans la direction du chemin, et le pied qui a eommencé à disparaître sans laisser après lui aucune trace : le témoin assure n'avoir vu aucun nuage au ciel et aucun éclat de lumière, et déclare que cette apparition a touché les cœurs de manière que les uns levaient les mains au ciel, les autres se prosternaient en terre, d'autres versaient des larmes.

TROISIÈME TÉMOIN. (3)
Ce témoin, placé environ à trente pieds du calvaire, dans la direction du couchant, parallèle à celle de la longueur de l'église, a été averti de l'apparition de la croix par ceux qui l'entouraient pendant que M. Marsault prêchait du haut du calvaire. L'extrémité du pied de la croix lui paraissait être au-dessus du pignon de l'église, la tête sur le moulin et la rencontre du montant avec les bras au-dessus du petit noyer auprès de la porte du cimetière; la croix lui paraissait couchée; les deux pièces qui formaient la croix lui présentaient une largeur d'environ deux pieds; son observation a duré vingt minutes, et il dit qu'il y avait une demi-heure à trois quarts d'heure que le soleil était couché lorsqu'il a commencé à apercevoir cette croix. Il a vu lever les bras à plusieurs personnes avec exclamation; il est allé avertir sa mère, qui a versé des larmes, et lui-même était vivement affecté, et affirme que plusieurs personnes éloignées des sacremens s'en sont approchées à la suite de cette apparition.

QUATRIÈME TEMOIN. (4)
Ce témoin, placé au coin du calvaire qui regarde la sacristie, a été averti de l'apparition par le signe de ceux qui l'entouraient pendant que M. Marsault prêchait, n'ayant auparavant rien aperçu d'extraordinaire. Le pied de la croix lui paraissait au-dessus de la porte de l'église, et la tête au-dessus des maisons qui sont au bas du cimetière sans qu'il puisse rien désigner de plus précis; la tête de la croix lui paraissait un peu plus élevée de terre que le pied; toutes les parties de la croix lui semblaient avoir une certaine épaisseur, les bras bien d'équerre au Corps principal, égaux entre eux et à peu près au quart du pied. La couleur de la croix n'offrait aucun éclat; elle était partout également d'un blanc un peu altéré. Il a observé la croix environ une demi-heure à trois quarts d'heure, à peu près une heure après le coucher du soleil; elle a conservé sa même forme, sa même situation et sa même couleur pendant tout le temps, l'air était beau, sans nuage ni brouillard. Il a vu une vive émotion dans l'assemblée; des personnes pleurer, d'autres se jeter à genoux: et connaît des individus que cet événement a ramenés aux pratiques de la religion, qu'ils avaient abandonnées depuis longues années.

CINQUIÈME TÉMOIN. (5)
Ce témoin déclare que de la place qu'il occupait sur le cimetière il a vu la croix toute formée, et lorsqu'il a été arrivé à la porte de l'église, et que tout le monde y était entré pour recevoir la bénédiction, là il a vu le bout du pied de la croix au-dessus de sa tête, le point de rencontre des bras un peu en-deçà de la maison qui touche à l'entrée du cimetière, et l'autre extrémité un peu au-delà de cette même maison; toutes les parties de la croix lui paraissaient à une hauteur égale, toujours à peu près la même que celle qu'il avait jugée dès le commencement; il apprécie la longueur totale du montant à quatre-vingts ou cent pieds, et celle des bras à quinze pieds chacun environ, ce qui formait quatre ou cinq fois leur largeur; ces deux pièces paraissaient toujours se croiser sans aucun biais, et chacune d'elle ressemblait à une poutre équarrie dont la vive arête serait bien marquée, bien droite et qui serait coupée à ses extrémités par des lignes parfaitement d'équerre. Le corps de la croix lui paraissait diminuer insensiblement vers la tête , et les bras étaient aussi un peu moins gros que le bout du pied ; la couleur de la croix était constamment d'un blanc un peu altéré, sans éclat et par tout uniforme. Lorsqu'il ne restait plus que peu de personnes au-dehors la croix a commencé à disparaître par le pied, continuant ainsi peu à peu de proche en proche à s'effacer sans laisser à sa place aucune trace de sa présence, en telle sorte que lorsqu'il a cessé de l'observer elle offrait la forme d'une croix grecque. Le temps était serein , sans brouillard:', sans fraîcheur remarquable: il n'apercevait seulement qu'un petit nuage vers le nord, à ce qu'il croit. Le témoin remarque que les pièces formant la croix qui lui paraissaient à vive arête, lorsqu'il était placé immédiatement au-dessous, lui avaient semblé un peu arrondies ( chanfreinées ) lorsqu'il les regardait au côté de la première place qu'il occupait. Il a remarqué que cette apparition avait ému jusqu'aux larmes lui-même et beaucoup de personnes qu'il a vues les unes les mains levées au ciel et les autres prosternées dans la boue, et assure que dès le lendemain et les jours suivans plusieurs de ses connaissances sont revenues aux pratiques de la religion, qu'elles avaient pour ainsi dire méprisées depuis bien des années.

SIXIÈME TÉMOIN. (6)
Ce témoin, placé en-dehors du cimetière, dit qu'il a aperçu dans les airs une croix parfaitement formée; le montant et la traverse étaient l'un et l'autre très droits et se coupaient sans aucun biais; les bras de la croix lui paraissaient environ le tiers du corps au-dessous d'eux; la largeur, partout la même, pouvait être estimée à dix-huit ou vingt pouces; la couleur blanche. Lui et plusieurs autres personnes ont été émus jusqu'aux larmes. Il en connaît plus d'une douzaine qui peu après cet événement sont revenus à la religion, qu'ils avaient abandonnée.

SECOND JOUR D'ENQUÊTE.

PREMIER TÉMOIN. (7)
Ce témoin, placé derrière la petite croix de pierre du cimetière, a vu dans les airs une croix exactement formée, dont le bout du pied lui paraissait au-dessus du pignon de l'église, l'extrémité de la tête du côté du pont, et la rencontre des bras sur la maison près le moulin. Toutes les parties de cette croix lui paraissaient d'une grosseur égale, qu'on pouvait évaluer à environ deux pieds; la couleur de la croix était blanche, un peu rosée.

SECOND TÉMOIN. (8)
Ce témoin, placé entre le calvaire et la petite croix en pierre du cimetière, à vu aussi la croix bien formée dans les airs, ayant une extrémité sur le pignon de l'église , l'autre vers le pont et le croisillon sur le moulin. La couleur de la croix lui a paru d'un blanc un peu rosé, sans éclat. Le témoin observe qu'ayant levé les yeux au ciel peu de temps avant l'apparition de la croix pour juger de l'état du temps , il n'a rien aperçu dans le même lieu où un instant après il a vu la croix toute formée. Il s'est aperçu d'une vive émotion dans l'assemblée, et a vu M. le curé de Saint-Porchaire prévenir M. Marsault, qui un instant après a entonné le cantique Vive Jésus, Vive sa croix. Le témoin ajoute que l'émotion de l'assemblée a aussi gagné les prêtres.

TROISIÈME TÉMOIN. (9)
Ce témoin, placé entre l'église et le calvaire, près du coin, n'a aperçu la croix qu'après qu'on la lui a fait remarquer: il lui semblait qu'un des bouts répondait au-dessus du pignon de l'église, l'autre extrémité vers le pont. L'arbre de la croix était comme équarri, portant à peu près dix-huit pouces sur chaque face; la couleur de la croix était blanche. Toutes ces choses sont restées dans le même état à peu près trois quarts d'heure, à commencer une demi-heure au moins après le coucher du soleil; au bout de ce temps la croix a commencé à s'effacer vers le pied lorsque la procession a été rentrée dans l'église. Le témoin n'a remarqué aucun nuage dans le ciel, ni aucun brouillard qui s'élevât de terre. Il a vu une vive émotion dans l'assemblée : plusieurs personnes levèrent les bras au ciel; ceux qui l'entouraient et lui versaient des larmes, et il a su que trente ou quarante personnes ont pris de là occasion de revenir à lu religion.

TROISIÈME JOUR D'ENQUÊTE.

PREMIER TÉMOIN. (10)
Ce témoin, placé près du chemin qui conduit à la porte de l'église, un peu au nord, a été averti par ses voisins de l'apparition de la croix: il a vu dans le ciel une croix parfaitement formée, et comme tirée à la scie et de forme carrée ; son pied était situé au-dessus du pignon de l'église, cette croix lui a paru couchée horizontalement, et son autre extrémité répondait au-dessus de la maison la plus voisine du cimetière; les extrémités en particulier paraissaient coupées avec une scie; elle était dépourvue d'attributs. Il est rentré à l'église vers les cinq heures, et elle paraissait encore ; déjà on n'y voyait plus assez pour lire.

SECOND TÉMOIN. (11)
Ce témoin, placé sur le calvaire, au nord de la croix, lorsque M. l'abbé Pasquier avertit M. Marsault, prêchant sur le calvaire et parlant du miracle arrivé sous Constantin, s'aperçut de cet avertissement, et leva lui-même les yeux vers le ciel, où il vit une croix dont le pied commençait au-dessus du pignon de l'église, et s'étendait horizontalement jusque sur la maison de Besson, où se formait le croisillon. Toutes les extrémités étaient aussi nettement terminées que si elles eussent été sciées. L'arbre principal de la croix paraissait comme équarri, et de quinze à dix-huit pouces de côté ; le croisillon, plus petit d'épaisseur, ne semblait avoir que de dix à douze pouces; la croix était dépourvue d'attributs; son élévation au-dessus du sol paraissait être le double de celle du pignon de l'église; sa couleur, difficile à définir, pourrait peut-être être représentée par un blanc clair , mêlé d'une teinte légère de couleur : Il l'a observée dans cet état au moins vingt minutes. Lorsque les torches ont- été rentrées dans l'église il a vu la croix dans le même état qu'auparavant, dont le pied cependant commençait à disparaître graduellement: il est rentré à l'église pour recevoir la bénédiction, et n'a plus vu la croix. Ce témoin assure qu'un grand nombre de personnes qui avaient négligé les pratiques de la religion y sont revenues avec empressement depuis cet événement, entre autres deux personnes de la petite église, et deux hommes éloignés des sacremens depuis vingt ou trente ans, qui auparavant protestaient de leur indifférence et de leur opposition à pratiquer la religion.

QUATRIÈME JOUR D'ENQUÊTE.

PREMIER TÉMOIN. (12)
Ce témoin, placé au pied du calvaire, vers le levant, a remarqué que !a croix avait les extrémités nettement coupées, sans attributs, sa couleur d'un blanc rougeàtre; elle lui paraissait élevée d'environ quarante-cinq degrés au-dessus de l'horizon, ayant la tête placée au-dessus du moulin , et dans toutes ses parties une largeur uniforme, qu'on pourrait évaluer à dix-huit pouces. Il était environ cinq heures du soir; le ciel n'offrait aucun nuage; il a vu la vive impression que cela avait produite sur toute l'assemblée.

SECOND TÉMOIN. (13)
Ce témoin, placé sur une échelle au haut de la croix du calvaire, a vu l'un des premiers la croix; il était environ cinq heures du soir : cette croix lui a paru bien formée, ayant les extrémités coupées nettement et sans attributs; elle était située à une grande hauteur; son pied répondait au pignon de l'église, ses bras au-delà du moulin, et sa tête aux environs du pont. Sa largeur, qui allait un peu en diminuant du pied vers la tête, pouvait s'estimer à dix-huit pouces; sa couleur était un blanc rosé. Il a vu la croix rester à la même place jusqu'au moment où elle s'est évanouie insensiblement à ses yeux.

TROISIÈME TÉMOIN. (14)
Ce témoin, placé à vingt-cinq pieds environ au nord-est du calvaire au moment où on mettait en place la croix de mission , entendait prêcher M. l'abbé Marsault: il a vu paraître une croix dans le ciel; cette croix lui paraissait grande comme celle du calvaire; elle avait cependant son pied au-dessus de celle-ci, et lui semblait s'étendre jusqu'au mur du cimetière, qui est voisin du moulin. Il nous a d'abord dit qu'il l'avait vue la moitié d'un demi-quart d'heure; mais il croit pouvoir assurer maintenant qu'il l'a observée pendant vingt minutes : il déclare l'avoir vue se former graduellement en commençant par le pied ; et la traverse ne s'est montrée qu'en dernier lieu. Dans cette première position il faisait face à l'église et voyait cette croix devant lui. Nous nous sommes transportés avec lui dans une seconde position qu'il avait prise en faisant une vingtaine de pas vers l'église, et laissant la croix derrière lui : il nous a dit avoir été obligé de tourner le dos à l'église pour revoir la même position, qui lui semblait alors affaiblie et toujours à la même place : sa couleur présentait l'apparence de flammes légères dans un morceau de bois qui brûle; il n'a point aperçu d'attributs. Il a été témoin de l'étonnement qu'elle a produit dans l'assemblée; il avait d'ailleurs commencé à voir la croix trois quarts d'heure environ après le soleil couché.
  Cette déposition a été d'abord omise parce qu'on l'avait oubliée en écrivant. La commission dans ses notes a déclaré que le déposant n'avait pas trop l'esprit présent à cause d'un enfant qu'il conduisait alors.
Note: la commission n'avait pas trop l'esprit présent non plus puisqu'elle a dédoublé ce troisième témoin.

TROISIÈME TÉMOIN. (15)
Ce témoin, placé à l'orient du calvaire, a aperçu aussi une croix bien confectionnée, dont chaque bras paraissait un peu plus long que la portion supérieure du montant, et toutes les extrémités coupées à vif et carrément. Le pied répondait par sa position au-dessus du pignon de l'église, et les bras sur le moulin , à une hauteur qui semblait être d'environ soixante pieds, de manière que la tête était un peu moins élevée que le pied; sa largeur était uniforme et telle qu'on pouvait la juger d'environ dix-huit pouces. La croix était simple et sans attributs, d'une couleur que le témoin ne peut définir; il était environ cinq heures du soir, et pendant tout le temps qu'il l'a vue aucun nuage n'a frappé ses yeux.

QUATRIÈME TÉMOIN. (16)
Ce témoin était sur le calvaire, du côté du levant; la croix lui paraissait avoir une de ses extrémités au dessus du pignon de l'église, d'où elle s'étendait en s'élevant un peu vers la maison du moulin, sur laquelle le croisillon semblait placé. L'arbre de la croix ressemblait à une poutre portant quinze ou dix-huit pouces d'équarrissage et partout d'égale grosseur. La longueur de chaque bras, ainsi que celle de la tête, pourrait s'évaluer à une douzaine de pieds, et la hauteur moyenne à cent pieds. Sa couleur était un blanc pâle sans aucune teinte de rembruni. Il a vu toutes ces choses persévérer dans le même état après que les torches de la procession ont été rentrées. Le témoin assure aussi que lorsque M. l'abbé Pasquier est venu avertir M. l'abbé Marsault, celui-ci venait d'entretenir l'assemblée du miracle arrivé sous Constantin; Ce témoin lui-même a partagé la vive émotion qu'éprouva l'assemblée en voyant la croix, et assure que les choses sont restées dans le même état, dans la même position jusqu'au moment où l'on a donné la bénédiction.

CINQUIÈME TÉMOIN. (17)
Ce témoin, placé sur le calvaire, déclare que sur les cinq heures du soir, lorsqu'il entretenait le peuple des merveilles de la croix, et qu'il rappelait l'apparition d'une croix à l'empereur Constantin et à son armée marchant contre Maxence, M. l'abbé Pasquier est monté sur le calvaire, et a cherché par trois fois à lui faire apercevoir une croix qui apparaissait au sud-ouest du calvaire, dans la région inférieure de l'air. A cette troisième fois le témoin a cessé de parler pour admirer ce prodige étonnant: cette croix lui a paru avoir à peu près de quatre-vingts à cent pieds de longueur sur dix-huit pouces d'équarrissage; sa couleur était argentine sans avoir rien de brun dans le fond; elle était également sans attributs; sa tête était au-dessus du moulin et son pied au-dessus du pignon de l'église, d'une manière horizontale. Les bras étaient bien proportionnés, ses extrémités parfaitement équarries. A la vue de ce prodige le témoin s'est sentie saisi d'une frayeur mêlée de joie et d'étonnement. Après avoir gardé un silence profond deux ou trois minutes il a entamé le cantique Vive Jésus, vive sa croix, et a dit au peuple : «Rentrons à l'église. »
Le témoin en se dirigeant vers l'église a encore admiré la croix pendant deux ou trois minutes, comme il l'avait fait sur le calvaire, et a remarqué le pied un peu plus incliné sur le pignon de l'église que la tête; comme aussi il a reçu au tribunal de la pénitence huit à dix personnes qui depuis long-temps ne s'étaient pas confessées.
Note: Ce témoin est évidemment le prédicateur, l'abbé Marsault, aumônier du collège royal de Poitiers. Il nous confirme que l'abbé Pasquier a du s'y reprendre à trois fois pour lui faire découvrir la croix, preuve qu'elle n'était que faiblement lumineuse. Il l'a vu aussi près du porche après l'avoir vu depuis le calvaire.

SIXIÈME TÉMOIN. (18)
Sut les cinq heures du soir, au moment où M. Marsault rapportait le fait miraculeux d'une croix apparue à l'empereur Constantin et à son armée marchant contre Maxence, le témoin a éprouvé tout à coup comme l'impression d'un corps qui tomberait rapidement en se dirigeant de sa droite vers ses yeux, ce qui l'a forcé de les couvrir de ses mains. Dans ce moment ceux qui l'entouraient lui ont demandé: « Qu'est-ce que cela?» Cherchant à en connaître la cause, le témoin a aperçu en levant les yeux vers le ciel, dans la région inférieure de l'air et sur sa droite, une croix d'un blanc argentin, qui a été aperçue en même temps par ceux qui l'entouraient, et qui se sont écrié : Voyez donc cette belle croix ! » Elle paraissait avoir une longueur de quatre-vingts à cent pieds. Le témoin s'est avancé vers le calvaire pour l'examiner plus à l'aise: il a vu que le pied était placé audessus du pignon de l'église, et la tête au-dessus de la maison du moulin. Les bras et le corps de la croix lui ont paru parfaitement, à angles droits, et les extrémités nettement terminées, la largeur de la croix de dix-huit pouces. Alors il s'est dirigé vers le prédicateur situé sur le calvaire; il a averti d'abord M. le curé de Migné, et puis M. Marsault, dont il a interrompu le discours. Ainsi placé sur le calvaire, la croix n'a paru au témoin être élevée au-dessus de l'horizon que de quelques pieds. Lorsque M. Marsault eut dit au peuple de rentrer à l'église, où l'on s'est précipité en foule, le témoin, resté à la porte de l'église, a jeté de nouveau les yeux sur la croix qu'il vient de décrire : alors elle lui a paru être au-dessus de sa tête, et il l'a vue s'affaiblir sans se déplacer et sans rien perdre de ses formes. Le témoin après ce second examen est rentré à l'église par la sacristie en faisant le tour de l'église, pendant lequel il a toujours vu la croix. Rentré à l'église il ne l'a plus vue depuis. Ce témoin assure s'être aperçu du trouble et de la grande émotion de l'assemblée, et l'impression était tellement vive que dès le soir même de l'apparition et le lendemain dix à douze hommes sont venus le solliciter pour les entendre en confession, disant publiquement qu'ils ne s'étaient pas approchés des sacremens les uns depuis vingt ans, et les autres depuis quarante.
Note: Ce témoin qui est manifestement, l'abbé Pasquier, curé de Saint-Porchaire. semble être le seul à avoir vu tomber quelque chose.

SEPTIÈME TÉMOIN. (19)
Ce témoin, placé au-dehors du cimetière près de la principale entrée, a été averti à différentes reprises, et n'a tenu compte de ces avertissemens qu'en dernier lieu. Il a levé les yeux vers le ciel, et a aperçu au-dessus de sa tète une croix bien dessinée, qui lui paraissait formée de quatre branches égales, dont cependant les extrémités étaient cachées par des arbres voisins. Le point d'intersection des branches répondait directement au-dessus de sa tête, et la couleur de cette croix lui paraissait difficile à définir exactement. Il a jugé sa hauteur moindre que celle qu'ont ordinairement les nuages. Cette croix était dépourvue d'ornemens et d'accessoires , et présentait une largeur qu'on pouvait évaluer à un pied et quelques pouces.

HUITIÈME TÉMOIN. (20)
Ce témoin, placé sur le calvaire, au coin qui regardait le nord-ouest, fut averti de l'apparition par M. le curé de Saint-Porchaire, et déclare qu'ij était environ cinq heures du soir lorsqu'il a vu dans les airs une croix parfaitement formée, large d'environ vingt pouces, placée à quatre-vingts ou cent pieds de hauteur, et s'étendant, en s'élevant un peu depuis le devant de l'église jusque vers la porte du cimetière, sur une longueur d'environ quatre-vingts pieds. La couleur de la croix lui a paru être d'un blanc argentin; il n'a remarqué que l'extrémité du pied de la croix située au-dessus du pignon de l'église, et bien nettement coupée. Les autres extrémités étaient cachées pour lui par les branches des arbres voisins. Il s'est aperçu d'une vive sensation d'étonnement et de religion dans toute l'assemblée, et remercie la divine Providence des heureux effets qu'a produits cet événement sur sa paroisse, soit pour la conversion des pécheurs les plus endurcis, le retour à la pratique des sacremens de plusieurs personnes qui en étaient éloignées depuis longues années, soit pour l'augmentation de la pitié et de raffermissement, de la foi dans les fidèles.

NEUVIÈME TÉMOIN. (21)
Ce témoin, placé sur le cimetière, a vu tout à coup dans les airs une croix parfaitement formée et placée horizontalement, dont le pied était placé au-dessus du pignon de l'église, la tête du côté du pont, et le croisillon sur la maison du moulin. Les extrémités de cette croix lui ont paru être parfaitement coupées droites, et la couleur de la croix d'un blanc argentin. Lorsque le témoin est parti pour se rendre à Poitiers il était un peu après cinq heures, et il a suivi le chemin d'Auzance; il a encore observé la croix tout entière, et toujours dans la même position, pendant un demi quart d'heure après son départ. Ensuite, et lorsqu'il y avait à peu près une demi-heure qu'il l'avait aperçue pour la première fois, il l'a vue s'étendre insensiblement. Du haut du coteau la croix paraissait au témoin moins élevée qu'elle ne lui paraissait auparavant; mais il la voyait toujours dans la même situation. Enfin le témoin a fait, en se dirigeant toujours à gauche pour rejoindre le chemin de Poitiers, un demi-tour complet, et pendant ce temps il apercevait la croix sur le devant de l'église; il dit s'être aperçu d'une vive émotion dans l'assemblée.

CINQUIÈME JOUR D'ENQUÊTE.

PREMIER TÉMOIN. (22)
Ce témoin, employé à l'érection de la croix du jubilé, s'était ensuite retiré derrière cette croix, à l'est du calvaire, pendant la prédication de M. l'abbé Marsault. Il entendit ce dernier entretenir l'assemblée du miracle arrivé à l'empereur Constantin. Au moment où il abandonnait ce sujet M. l'abbé Pasquier est venu l'interrompre pour lui montrer une croix qui paraissait dans les airs. Le témoin a lui même levé les yeux du côté qu'on indiquait, et a aperçu effectivement une croix qui lui paraissait plus élevée que le coteau d'Auzance, et dont le pied était de son côté. Il évalua à peu près la longueur de la croix à quarante ou cinquante pieds, et sa largeur à deux pieds environ. Ses extrémités étaient nettement coupées, et ses deux bras parfaitement d'équerre. La croix totale était couchée horizontalement; ses lignes latérales étaient aussi droites que la vive arête d'une pièce équarrie; sa couleur lui paraissait semblable à la couleur d'une queue de comète. Au moment de l'apparition le soleil était couché depuis plus d'une demi-heure, et le jour baissait si sensiblement qu'on ne distinguait pas bien de petits objets peu éloignés. Le témoin s'est aperçu d'une vive impression faite sur l'assemblée, du transport et même de l'enthousiasme que produisait cette apparition extraordinaire: il sait que l'un des spectateurs, auparavant totalement étranger aux idées religieuses, est rentré chez lui les yeux baignés de larmes et le cœur plein de sentimens religieux.

SECOND TÉMOIN. (23)
Ce témoin était placé au pied du calvaire, et dit que lorsque M. Marsault venait de parler du miracle de Constantin M. le curé vint l'avertir de l'apparition d'une croix dans les airs. Ce mouvement lui fit lever les yeux, et il aperçut aussi la croix : la tête de cette croix lui paraissait vers le coteau d'Auzance, et le pied vers le côté de l'église, en sorte que la direction était de l'église vers le pont; la couleur de la croix était d'un blanc formant une teinte mal définie. Le témoin rapporte la hauteur de la croix à celle des étoiles, à en juger du moins selon les apparences. Lorsqu'il a commencé à observer il était cinq heures environ, et son observation a duré au moins un bon quart d'heure. La largeur de la croix lui a paru être d'un pied et demi environ, sa ligne latérale très droite, et ses extrémités coupées comme à la scie. Le témoin a remarqué une profonde émotion dans l'assemblée, qu'il a lui-même partagée. Il était peu de personnes dehors lorsque le témoin a vu le pied de la croix disparaître peu à peu en commençant par le bout jusqu'à ce qu'il n'y eut plus qu'une croix grecque, auquel moment la croix a disparu en s'affaiblissant graduellement par les quatre extrémités à la fois. Mais il n'a pas vu se terminer entièrement cette disparition graduelle, car pendant qu'elle s'opérait il est rentré dans la sacristie pour parler à M. de Curzon; mais en sortant elle était entièrement terminée. Le témoin n'a rien vu à la place de la croix disparue.

OBSERVATIONS DE LA COMMISSION.

Nous eussions pu facilement obtenir un nombre beaucoup plus considérable de dépositions ; lorsque nous avons été sur les lieux la foule se pressait autour de nous ; les enfans mêlaient leur voix à celle des personnes âgées pour expliquer dans le plus grand détail tout ce qui concernait l'apparition, et pour faire remarquer certaines circonstances, qui à leur âge peuvent frapper davantage, et qui avaient fait peu d'impression sur les esprits plus occupés des idées morales qui se rattachent à cet événement. Ce n'est qu'avec peine que nous sommes parvenus à isoler les temoins ci-dessus désignés pour leur adresser nos questions et recueillir leurs réponses suivant la forme que nous nous étions prescrite. Enfin lors de notre dernière réunion à Migné on nous a présenté peu avant notre départ une liste de plusieurs individus qui demandaient instamment à être entendus, considérant comme une faveur singulière de pouvoir contribuer par leur déposition à constater l'apparition de la croix : si nous n'avons donc pu multiplier davantage les témoignages écrits c'est d'une part la difficulté de trouver un espace de temps assez considérable où nous fussions tous libres à la fois des occupations obligées qui concernent chacun de nous, de l'autre côté l'espèce d'impatience qui se manifestait presque dans toute la France, même parmi des personnes dont les désirs de^. vaient nous commander une haute considération; mais c'est surtout parce que les dépositions déjà recueilles nous paraissaient présenter dans les points essentiels d'une manière bien positive un accord tel qu'il serait impossible de leur ajouter un plus grand degré de certitude, quelque fût le nombre des témoins qu'on soumettrait à l'examen. Nous avons tenu compte du ton plus ou moins affirmatif dont chaque chose avait été dite, du plus ou du moins de connaissance des déposans par rapport aux différens objets sur lesquels ils étaient interrogés, et particulièrement de leur plus ou moins de circonspection à ne s'exprimer que sur la chose sur laquelle avaient porté leurs observations, et dont ils avaient la mémoire bien présente. Nous nous sommes enfin aidés des témoignages en masse que nous avons entendus au moment où l'heure des offices appelait les fidèles sur le lieu de l'apparition, des petites discussions qui ont eu lieu alors en notre présence, enfin des renseignemens que chacun de nous avait eus en son particulier lorsque ces renseignemens s'accordaient bien entre eux, qu'ils partaient de bonnes sources , et qu'en les discutant entre nous nous les jugions capables de produire une juste conviction.

Le rapport que nous présentons à sa grandeur à la suite du présent procès-verbal ne contient pas seulement le résultat des dépositions consignées dans celuici; on conçoit qu'il eût été impossible d'écrire littéralement tout ce qui a été dit par les témoins, et que cependant en discutant leur témoignage pour en établir les résultats nous avons dû faire entrer en considération fout ce que nous avions entendu de leur bouche.

On s'apercevra facilement qu'en ce qui concerne la substance même du fait et les circonstances les plus remarquables par où nous entendons principalement l'apparition d'une crsix dans le ciel, la régularité de ses formes, l'absence de toute courbure dans les lignes, la simultanéité de l'érection de la croix de jubilé , la permanence prolongée du phénomène sans variation, ni changer de lieu, l'heure du crépuscule très avancée, etc., etc.; on s'apercevera, disons-nous, que sur tous ces points il règne dans les dépositions un accord très satisfaisant, d'où l'on concevra que nous avons dû les, annoncer dans notre rapport d'une manière tout a fait affirmative. Nous avons dû en agir de même

Vrindts, La croix de Migné vengée de l'incrédulité et de l'apathie du siècle, Librairie ecclésiastique de Rusand, 1829, pages 229-254

Ces 23 témoignages sont notre meilleure base pour les données de l'observation. S'ils sont tous d'accord pour placer le pied de la croix au dessus du porche de l'église, ils divergent sur d'autres points, comme la hauteur, ou la couleur, mais c'est classique.
Par contre, on peut regretter un biais important: On n'a interrogé que ceux qui avaient vu la croix, et étaient sûrs d'avoir bien vu. Or les témoignages négatifs sont importants aussi. Dans le prétendu miracle solaire de Fatima, des milliers de témoins n'avaient rien vu, et ceci nous aide à comprendre que le prétendu miracle n'était qu'un phénomène rétinien. Pour Migné, nous ne connaissons qu'un seul témoin négatif, trouvé par M. Boisgiraud:

Enfin c'est M. Boisgiraud qui a raconté une particularité mémorable , et qui semble être un nouveau miracle : quelques correspondances particulières l’avoient déjà mentionnée; mais on ne sauroit trop répandre la connoissance de ce fait vraiment merveilleux. C'est l’histoire d’une espèce de philosophe de village qui, ayant assisté à quelques exercices de la mission plutôt par un esprit de curiosité et de critique, que par un désir de profiter de ses fruits, se trouva à la réunion générale où préchoit M. l'abbé Marsault. Il se tenoit un peu à l'écart, comme un homme qui prétend juger les effets de l’éloquence sur une vaste assemblée. Tout à coup il entend des cris d’admiration et d’épouvante. Il s'approche de la foule. I1 interroge les personnes qui tendent leurs mains vers le ciel. On lui dit de lever les yeux; il regarde et ne voit rien. Il interroge encore. Chacun lui montre l'endroit visible, la Croix brillante , le miracle qui frappe tous les regards. Il regarde en vain, et s'étonne à la fois de ce qu'il n’aperçoit rien de nouveau dans les cieux , et de ce que tout le monde y contemple une apparition merveilleuse. Il se passe alors en lui quelque chose d’extraordinaire. Tout le monde voit, et il ne voit pas. Croira-t-il plutôt sa vue qui ne saisit rien, ou celle d’une grande multitude qui saisit quelque chose? Un trouble affreux pénètre dans son âme. Une sorte de terreur agite ses sens. Ïl voit bien qu’il faut qu'il y ait quelque cause mystérieuse qui l'empêche d’apercevoir ce qui est visible à tout le monde. Dans cet état extraordinaire de saisissement et d’horreur, il s'accuse lui-mêmc; il se déclare un malheureux et un être coupable , qui ne mérite pas de jouir de la faveur que Dieu fait à ceux qui l’aiment; et enfin sa conscience, troublée pendant tout le cours de la nuit, ne trouva de calme que lorsqu'il eut le matin déposé ses remords dans le sein du vénérable pasteur, charmé de rendre à Dieu ce pécheur long-temps rebelle.
Récits rapports et correspondance au sujet de l'apparition de la croix de Migné, Imprimerie ecclésiastique de Béthune, Paris, 1827, pages 32-33

La naïveté sectaire de ce récit, écrit avec l'orthographe du XVIIIe siècle n'est surement pas de M. Boisgiraud, qui était un esprit scientifique, et d'ailleurs protestant. Remarquons qu'il était possible de se tenir à l'écart de la foule, ce qui contredit l'affirmation qu'il y eut 3000 personnes dans le cimetière. Retenons simplement que ce brave homme qu'on nous décrit n'a rien vu, là ou beaucoup de gens voyaient. Mais tout le monde voyait-il vraiment? Il semble qu'une majorité voyait, et que parmi ceux qui ne voyaient pas, il était le seul à oser le dire. Appelons ce témoin négatif et anonyme le témoin n° 24.

Voici maintenant le rapport de synthèse de la commission, publié un mois et demi après l'observation.

SECOND RAPPORT.
____

MONSEIGNEUR ,

  Votre Grandeur ayant commis, par son ordonnance du 16 janvier dernier, MM. l’abbé de Rochemonteix, son Vicaire général, et Taury, Chanoine honoraire de la Cathédrale, Professeur de Théologie au grand Séminaire , pour informer sur l’apparition extraordinaire d’une Croix, qui auroit eu lieu à Migné, dans le courant du mois de décembre 1826, ils ont l’honneur de lui exposer que, d’après ses intentions, ils se sont adjoint, pour procéder à cette enquête, MM. De Curzon , Maire de la commune, témoin oculaire du fait; Boisgiraud, Professeur de physique au Collège royal de Poitiers ; J. Barbier , Avocat, Conservateur-adjoint de la Bibliothèque de la ville, et Victor de Larnay, désigné pour remplir les fonctions de Secrétaire.
  La Commission ainsi formée a pris une connoissance exacte des lieux où le phénomène avait été observé; elle a interrogé plusieurs témoins à la place même qu’ils occupaient pendant l'apparition, et elle en a entendu un nombre plus considérable dans divers autres lieux où la réunion était plus facile.
  Parmi eux, Votre Grandeur distinguera plusieurs agriculteurs , témoins habituels des spectacles variés qu’offre l’atmosphère à ceux qui passent la meilleure partie de leur vie en plein air ; plusieurs artisans accoutumés à juger de la régularité des formes, des proportions et de la grandeur absolue des objets ; enfin un certain nombre de personnes instruites , qui, par leurs connaissances et leur caractère moral, assurent le plus haut degré de confiance à leurs dépositions.
  Il a été dressé, de toutes les opérations ci-dessus énoncées , un procès-verbal détaillé, dont la minute est jointe au présent rapport, avec la description géométrique des lieux et des objets dont la connaissance a paru susceptible d’offrir quelqu’intérêt dans la matière présente (2).

  (2) L’Eglise de Migné, devant laquelle a paru la Croix, est située tout auprès d’une petite rivière appelée l"Auzance, laquelle parcourt la prairie qui entoure le bourg du couchant au midi. Elle est de toutes parts dominée par des hauteurs dont le niveau s’élève au-dessus de son comble, et meme, en plusieurs points, au-dessus du sommet dé son clocher. Son plan est un carré long de 86 pieds sur 29, orienté dans la direction du couchant d’été Ses deux pignons ont leur sommet élevé de 40 pieds au-dessus du sol, et ils sont surmontés l’un et l'autre d'une petite croix, en pierre grossièrement travaillée, ayant les trois branches supérieures longues de 11 pouces chacune sur 8 d’épaisseur en tous sens, et portées sur un pied de 14 pouces de hauteur, qui s’élargit graduellement, de manière à avoir son extrémité inférieure double de la supérieure en largeur. Le clocher, qui s’élève à environ 65 pieds, est aussi surmonté d’une croix. Celle-ci est en fer, et composée principalement de trois fleurs de lis portées sur des tiges minces et courtes, assujetties ensemble par des arcs qui servent en même temps d’ornement : elle est d’ailleurs surmontée d’une girouette d’assez grandes dimensions.   Les alentours de l’Eglise sont libres de constructions au nord et au couchant seulement, jusqu’à une distance de 100 à 120 pieds. Sur cet espace se trouvent deux croix, celle que l’on venait de planter au moment de l’apparition, et une autre qu’on appelle vulgairement Croix hosannière.   La première, peinte en rouge, s’élève à 25 pieds au-dessus du sol et à 20 pieds au-dessus de son calvaire, situé lui-même à 55 pieds de l'Eglise, dans l’alignement de sa façade. Elle est formée de pièces de bois équarries de 6 pouces et demi de côté ; chacune des branches supérieures est longue de 4 pieds et demi et terminée par une boule peinte en jaune. La plus élevée est surmontée d’une couronne d’épines. Au croisement des branches avec le pied est placé un cœur de cuivre doré entouré d’une large gloire, dont le cercle et les rayons ressortent très sensiblement entre les angles. Enfin deux bâtons, l'un en forme de lance , et l’autre représentant un roseau terminé par une grosse éponge , sont fixés d’un côté sur le pied de la croix, et de l’autre sur chacun de ses bras.   La seconde, à peu près au nord-ouest de l’Eglise, en est distante de 100 pieds. Elle est placée sur une colonne de 5 pieds et demi; sa hauteur totale est de 2 pieds 2 pouces. Chacune des trois branches supérieures a 5 pouces de longueur, et leur largeur commune est de 4 pouces. Sa base, plus large que le reste repose sur une pièce carrée de 11 pouces de côté, qui surmonte le chapiteau de la colonne inférieure. A cette croix sont attachés, en sautoir, deux faisceaux desséchés de branches de buis , qui la couvrent presque tout entière.   Une petite place, plantée de noyers, située devant la porte de l'église, aboutit au chemin par lequel on se rend au village d’Auzance. A sa naissance, ce chemin laisse à gauche quelques maisons et un moulin à eau. Plus loin on y traverse la rivière sur deux ponts, l’un à 200 pieds de l'Eglise et l’autre à 360 pieds environ.

  Voici, Monseigneur, ce qui, de l'avis unanime des Commissaires de Votre Grandeur, résulte des nombreux documens qu’ils ont recueillis et pesés de concert.
  Le dimanche 17 décembre 1826, jour de la cloture d'une suite d’exercices religieux donnés à la paroisse de Migné à l’occasion du Jubilé, par M. le Curé de saint Porchaire et M. l’Aumônier du Collège royal, au moment de la plantation solennelle d’une Croix, et tandis que ce dernier adressoit à un auditoire d’environ 3ooo âmes ( 3), un discours sur les grandeurs de la Croix, dans lequel il venoit de rappeler l’apparition qui eut lieu autrefois en présence de l’armée de Constantin, on aperçut dans les airs une Croix bien régulière et de vastes dimensions.

  ( 3 ) La solennité de la cérémonie religieuse avoit attiré beaucoup de personnes de Poitiers et des paroisses rurales voisines de Migné.

Aucun signe sensible n’avoit précédé sa manifestation ; nul bruit, nul éclat de lumière n’avoit annoncé sa présence. Ceux qui l’aperçurent d’abord la montrèrent à leurs voisins, et bientôt elle fixa l’attention d’une grande partie de l’auditoire, au point que M. le Curé de saint Porchaire, averti par la foule, au milieu de laquelle il s’étoit placé, crut devoir aller interrompre le prédicateur. Alors tous les yeux se portèrent vers la Croix , qui avoit paru tout d’abord exactement formée , et qui étoit placée horizontalement, de manière à ce que l'extrémité du pied répondît au - dessus du pignon antérieur de l’Eglise, et que la tête se portât en avant, dans le même sens que la direction de cette Eglise, vers le couchant d’été. La traverse qui formoit les bras coupoit ce corps principal à angle droit : chacun des bras, égal à la tête, étoit environ le quart du reste de la tige.   Ces diverses parties étoient partout d’une largeur sensiblement égale, terminées latéralement par des lignes bien droites, bien nettes, et fortement prononcées , et coupées carrément à leurs extrémités par des lignes également droites et également pures.   Au jugement de plusieurs témoins, ces pièces avoient une certaine épaisseur qui les faisoit voir comme un peu arrondies, lorsqu’on les regardoit sous un angle oblique, et régulièrement équarries, lorsqu’on se rapprochoit beaucoup de la verticale.   Du reste, aucun accessoire ne paroissoit tenir à cette Croix , ni l’accompagner. Toutes ses formes étoient pures, et ressortoient très distinctement sur l’azur du Ciel. Elle n’offroit point aux yeux un éclat éblouissant, mais une couleur partout uniforme et telle qu’aucun témoin n’a pu la définir d’une manière précise, ni lui trouver mi objet de juste comparaison , seulement on s’accorde plus généralement à en donner une idée à l’aide d’un blanc argentin nuancé d’une légère teinte de rose.   Il résulte certainement de l’ensemble des dépositions , que cette Croix n’étoit pas à une hauteur considérable ; il est même très probable qu’elle ne s’élevoit pas à 200 pieds au-dessus du sol; mais il est difficile de rien fixer de plus précis que cette limite.   La longueur totale de la tige pouvoit être de 140 pieds ; et sa largeur , à en juger par des données moins igoureuses, de 3 à 4 pieds ( 4 ).

  ( 4 ) Voici, en effet, ce qui résulte de plusieurs dépositions: un déplacement de quelques pas suffisoit pour changer très sensiblement les parties du ciel vers lesquelles on projetoit cette Croix : aussi a-t-elle été rapportée par différens témoins vers les divers points de l’horizon; et quoique du Calvaire, elle parut vers l’ouest et peu élevée au-dessus des coteaux, à la porte de l’Eglise à 50 pieds de là, on se trouvoit justement au-dessous ; en s’éloignant dans sa direction, on la laissoit bientôt derrière soi, et placé sur les hauteurs voisines, on se croyoit presque à son niveau.

  Comme sa situation étoit horizontale, on a déterminé la longueur de la partie comprise entre le pied et le croisement des branches, en mesurant la distance qui séparoit les spectateurs placés directement au-dessous de ces deux points. Ses autres dimensions et particulièrement sa largeur, ont été conclues des proportions qu’on leur attribuoit entre elles et avec la longueur précédente. Il est facile de s’apercevoir que ces dimensions, beaucoup plus grandes que celles qu’on lui donnoit à la vue simple, dévoient l’être eu effet, comme cela a lieu pour tous les objets très élevés.


  Lorsqu’on a commencé à apercevoir la Croix, le soleil était couché depuis une demi-heure au moins, et elle a conservé sa position, ses formes et toute l’intensité de sa couleur pendant une autre demi-heure environ, jusqu’au moment où on est rentré dans l’Eglise pour recevoir la Bénédiction du très saint Sacrement : alors il était nuit; les étoiles brillaient de tout leur éclat. Ceux qui sont rentrés les derniers ont vu la Croix commencer à se décolorer : ensuite quelques personnes restées au dehors l'ont vue s’effacer peu à peu, d’abord par le pied, et successivement de proche en proche, de manière à présenter bientôt quatre branches égales, sans qu’aucune de ses parties eût changé de place depuis le premier moment de l’apparition, et sans que celles qui avoient disparu laissassent aux alentours la plus légère trace de leur présence.
  Il paroît qu’aucun observateur ne s’est appliqué à suivre cet évanouissement graduel jusqu’à son dernier terme; mais on sait qu’il étoit entièrement consommé lorsqu’on est sorti de l’Église, immédiatement après la Bénédiction.   La journée où cet événement a eu lieu avoit été très belle, après une suite de plusieurs jours pluvieux. Au moment de l’apparition, le temps étoit encore serein, la température assez douce pour que peu de personnes s’aperçussent de la fraîcheur du soir. Le ciel étoit pur dans toute la région où se montroit la Croix, et l’on apercevoit seulement quelques nuages dans deux ou trois points éloignés de là et voisins de l’horizon ( 5 ) ; enfin aucun brouillard ne s’élevoit de terre ni de dessus la rivière, qui coule à peu de distance.

  ( 5 ) Ces nuages n’ont été vus que par un très petit nombre de personnes. On ne pouyoit, en effet, les apercevoir que de quelques positions toutes particulières, dans lesquelles la vue n’étoit pas bornée par l’Eglise ou des maisons.

  Voilà, Monseigneur, ce qui nous a paru constituer les circonstances matérielles du fait. Quant à son influence morale sur ceux qui en ont été les témoins, nous avons constaté que la plupart furent dans l’instant même saisis d’admiration et d’un religieux respect. On vit les uns se prosterner spontanément devant ce signe de salut ; les autres avoient les yeux tout mouillés de larmes; ceux-ci exprimoient par de vives exclamations l’émotion de leur âme ; ceux-là élevoient leurs mains vers le Ciel en invoquant le nom du Seigneur : il n’en est presque aucun qui ne crût y voir un véritable prodige de la miséricorde et de la puissance de Dieu.   Nous avons de même constaté que plusieurs personnes, qui avoient résisté à tout l’entraînement des exercices du Jubilé, sont revenues par suite de cet événement aux pratiques de la Religion, dont elles restoient éloignées depuis longues années , et que d’autres, qui, par leurs œuvres et par leurs discours, sembloient annoncer que la foi étoit entièrement éteinte dans leur cœur, l’ont sentie se ranimer tout à coup, et en ont donné des marques non équivoques.   Enfin l’impression produite par ce spectacle extraordinaire a été si vive et si profonde, qu’elle arrachoit encore des larmes a quelques-uns de ceux qui déposoient devant nous, après plus d’un mois d’intervalle depuis l'événement.
  Avant de terminer ce rapport, qu’il nous soit permis, Monseigneur, d’exprimer à Votre Grandeur les sentimens qui nous ont été inspirés a nous-mêmes par la connoissance plus approfondie que nous avons été appelés à prendre de ce fait. Si nous avons été surpris des particularités qui concernent l’existence physique du phénomène, nous avons admiré bien davantage les conseils adorables de la Providence , qui a fait concourir cet événement avec des circonstances si propres a lui donner les heureux résultats qu’il a eus en effet. Lorsqu'on sait que le hasard n’est qu’un nom , que rien ici-bas n’a lieu sans dessein , et sans une cause bien déterminée, on ne peut qu’être vivement frappé de voir apparoître tout à coup , au milieu des airs, une Croix si manifeste et si régulière, dans le lieu et dans l’instant précis ou un peuple nombreux est rassemblé pour célébrer le triomphe de la Croix par une solennité imposante, et immédiatement après qu’on vient de l’entretenir d’une apparition miraculeuse qui fut autrefois si glorieuse au Christianisme; de voir que ce phénomène étonnant conserve toute son intégrité et la même situation , tandis que l’assemblée reste a le considérer; qu’il s’affoiblit à mesure que celle-ci se retire , et qu’il disparoît à l’instant où l’un des actes les plus sacrés de la Religion appelle toute l'attention des fidèles.

  Arreté à Poitiers, en séance commune, le 9 février 1827.

    Les Membres de la Commission,

  De Rochemonteix , Vic. gên. ; Taury, P.tre ; de Curzon, Boisgiraud aîné , J. Barbier, Victor de Larnay.

    Certifié conforme à la minute déposée au Secrétariat de l’Évêché :

      Pain , Chanoine , Secrétaire

Dernière mise à jour: 14/10/2023

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