1579 Ambroise Paré prodigiologue malgré lui.

Polydore
Ambroise Paré
Ambroise Paré, né vers 1510, près de Laval, probablement le plus célèbre chirurgien français, est plus connu pour avoir été le chirurgien des rois, que pour avoir parlé des comètes.
Chirurgien des champs de batailles, anatomiste, promoteur de nouvelles thérapies, inventeur d'instruments de chirurgie, il divulga son savoir dans de nombreux ouvrages, qu'il écrivit en français, car à la différence des Diafoirus de son temps, il ignorait le latin
Il écrivit son premier livre en 1545: La Méthode de traicter les playes faictes par hacquebutes et aultres bastons à feu, car les armes à feu venaient de révolutionner les batailles, mais aussi l'art de soigner les blessés.
En 1573, a la suite d'un livre de chirurgie, il ajoute un livre des monstres, alors que, brillant chirurgien, mais pas tératologue, il ne connait pas ce sujet, et doit faire confiance à ceux qui prétendent savoir.
Pire, en 1579, il complète ce livre par un chapitre sur les monstres célestes, sujet qu'il connait encore moins, et pour lequel il va devoir faire confiance à Pierre Boaistuau (qui ne le méritait pas). Le résultat est qu'il va trainer, comme une casserole à la queue d'un chien, le récit fantasmagorique d'une prétendue comète apparue en 1528, qu'il n'a pourtant jamais observé.

Ambroise Paré et les monstres.

Depuis le début du XVIe siècle, et surtout depuis son milieu, les prodigiologues s'ingéniaient à décrire les aberrations de la nature que sont les monstres. Aussi Ambroise Paré se décide-t-il à y consacrer un livre en 1573: Deux livres de chirurgie. 1. De la generation de l'homme, et maniere d'extraire les enfans hors du ventre de la mère ... 2. Des monstres tant terrestres que marins, avec leur portrais. Plus un petit traite Des plaies faites aux parties nerveuses..
Il s"en explique:

MONSTRES sont choses qui apparoissent outre le cours de nature (et sont le plus souvent signes de quelque maheur à advenir) comme un enfant qui naist avec un seul bras, un autre qui aura deux testes, et autres membres, outre l'ordinaire. Prodiges, ce sont choses qui viennent du tout contre nature, comme une femme qui enfantera un serpent,ou un chien, ou autre chose du tout contre nature, comme nous monstrerons cy apres par plusieurs exemples d'iceux monstres et prodiges: lesquels jay recueillis,avec les figures, de plusieurs autheurs: comme des histoires prodigieuses de Pierre Boistuau, de Claude Desserant, de S.Paul, Sainct Augustin, Esdras le Prophete : et des anciens Philofophes, à sçavoir d'Hippocrates, Galien, Empedocles, Aristote, Pline, Lycosthene, et autres qui seront cottez selon qu'il viendra à propos.

Paré fait appel à divers auteurs à qui il fait également confiance: Mais les prodigiologues Boaistuau et Lycosthenes n'ont pas la même crédibilité que les savants Aristote et Pline.
Dans l'édition de 1979, de ses oeuvres, Paré, après avoir cité nombre de monstruosités physiologiques et médicales, avec des dessins manifestement copiés de Lycosthenes et de Boaistuau, s'attaque imprudemment à un sujet auquel il ne connait rien: les phénomènes célestes.

Ambroise Paré et les monstres célestes.

Les anciens nous ont laissé par escrit que la face du Ciel a esté tant de fois défiguree de Comettes barbues, chevelues, de torches, flambeaux, coulonnes, lances, boucliers, bataille de nuees, dragons, duplication de Lunes et soleils, et autres choses: Ce que ie n'ay voulu obmettre, pour accomplir ce livre des Monstres, et pource en premier lieu ie produiray ceste histoire, figuree aux histoires prodigieuses de Boistuau: lequel dict l'auoir tiré de Licosthene.
Note: En réalité, Boaistuau avait tiré les détails "horribles", la couleur de sang, les gens morts de peur, les haches et couteaux, d'un occasionnel anonyme de 1528. Boaistuau dit seulement en marge "Conradus Licostenes a décrit et figuré ceste Comete avant moy".
L'antiquité, dict il, n'a rien expérimenté de plus prodigieux, en l'air que la Comette horrible de couleur de sang qui apparut en Rustrice, le neufiéme jour d'Octobre 1528.
Note: En réalité, Boaistuau dit "en Vuestrie l'unziesme jour d'Octobre, mil cinq cens vingt et fept".Cette erreur de date permet de tracer toutes les versions qui viennent d'Ambroise Paré
Ceste Comette estoit si horrible et espouventable, qu'elle engendroit si grand terreur au vulgaire qu'il en mourut aucuns de peur: les autres tomberent malades: Ceste estrange Comette dura une heure et un quart, et commança à se produire du costé du soleil levant, puis tira vers le midy: elle apparoissoit estre de longueur excessive, et si estoit de couleur de sang: A la sommité d'icelle on voyoit la figure d'vn bras courbé, tenant une grande espee en la main comme s'il eust voulu frapper. Au bout de la pointe il y avoit trois estoiles: mais celle qui estoit droitement sur la pointe, estoit plus claire et luysante que les autres: Aux deux costez des rayons de ceste comette, il se voyoit grand nombre de haches, cousteaux, espees, coulourees de sang, parmy lesquelles il y avoit grand nombre de faces humaines hideuses avec les barbes, et cheveux herissez, comme la voyez par ceste figure

Figure d'une comette admirable veue en l'air

Note: la figure reproduit à peu près correctement celle de Boaistuau, avec ses erreurs: l'épée est dirigée vers le bas et tenue comme un poignard.
Cette version fantastique va être reproduite dans nombre de manuels d'astronomie, comme exemple de la naïveté et de l'imagination de nos ancêtres, et d'Ambroise Paré en particulier. Mais Ambroise Paré n'est coupable que d'être plus célèbre que Boaistuau, dont il avait copié la description de la prétendue comète. La genèse complète de cette histoire est racontée ici. A l'origine, il n'y avait qu'une aurore boréale, décrite par un astrologue, repris par un plumitif, repris par Boaistuau, repris par Ambroise Paré, repris par Félix Pouchet, repris par Camille Flammarion, Amédée Guillemin, et d'autres vulgarisateurs faisant confiance aux deux précédents. Comme quoi les livres d'astronomie contiennent aussi des rumeurs.

D'AVANTAGE on a veu tomber de grosses & longues barres de fer du Ciel desquelles ont esté forgees & fait cousteaux. Le dict Boistuau escrit en ses histoires prodigieuses qu’en Sugolie situee sur les confins de Hongrie, il tomba une pierre du ciel avec un horrible esclatement, le septiesme jour de Septembre, 1514 de la pesanteur de deux cents cinquante livres, laquelle les citoyens ont faict enclauer en une grosse chesne de fer , au milieu de leur temple, et se monstre avec grand merveille, à ceux qui voyagent par leur province, chose merveilleuse comme l'air peut soustenir telle pesanteur.
Note: Boaistuau dit effectivement cela, mais la Sugolie est introuvable: il a confondu avec la météorite tombée le 7 novembre 1492 à Ensisheim, qui faisait ce poids et fut enchainée. Que n'avait il consulté Lycosthenes, qui lui apprit la bonne date: "1492 Septimo Novembris in Suntgoia Alsatiae superioris limitibus prope Ensheimum oppidum, judicio imperiali vel consistorio Ferdinandi Romanorum ac Hungariae regis nobilitatum, lapis ex coeli nubibus ingenti coeli fragore in terram cecidit". Lycosthenes situe la chute le 7 novembre 1492, près d'Ensisheim, dans le Sundgau, en Alsace, et il sait de quoi il parle, puisqu'il est alsacien. Boaistuau qui fait du Sundgau la Sugolie, près de la Hongrie n'est qu'un plumitif à la petite semaine. Ambroise Paré n'est coupable que de lui avoir fait condiance.
Pline escrit que durant les guerres des Cimbres, furent ouys de l'air sons de trompettes et clairons, avec grand cliquetis d'armes:
Note: Il s'agit probablement d'une pareidolie auditive.
Aussi il dict d'avantage , que durant Ie Consulat de Marius, il apparut des armees au Ciel, dont les unes venoient d'Orient , les autres d'Occident, et se combaterent les unes contre les autres longuement, et que ceiles d'Orient repousserent celles d'Occident.
Note: Il s'agit probablement d'une aurore boréale.
Ce mesme a esté veu l'an 1535. en Lusalie vers un bourg nommé Juben, sur les deux heures apres midy. D'auantage l'an 1550 le19 de Juillet au pays de Saxe, non fort loing de la ville de Vvitemberg fut veu en l'air un grand Cerf environné de deux grosses armees, lesquelles faisoient un grand bruit en se combatant, et à l'instant mesme, le sang tomba sur la terre, comme une forte pluye, et le Soleil se fandit en deux pieces, dont l'une sembloit estre tombee en terre. Aussi avant la prise de Constantinople il apparut une grande armee en l'air, avec une infinité de chiens, et autres bestes, Julius Obsequens dict; que l'an 458 en Italie, il pleut de la chair par gros et petits lopins, quelle fut en partie devoree par les oiseaux du ciel, auant qu'elle tombast en terre, et le reste qui cheut à térre demeura long temps sans se corrompre , ny changer de couleur ny d'odeur:
Note: Il s'agit probablement d'une pluie végétale. Le phénomène est rapporté par Tite Live, Denys d'Halicarnasse, Valere Maxime et Pline. Il aurait eu lieu en 461 avant notre ère.
Et qui plus est, l'an 989 regnant Otton Empereur troisiesme de ce nom, pleut du ciel du froment en Italie, l'an 180 il pleut du lait, et de l'huille en grande quantité, et les arbres fruittiers porterent du fourment. Licostenes raconte qu'en Saxe il pleut des poissons en grand nombre: et que du temps de Loys Empereur, il pleut trois jours et trois nuicts durant du sang : et que l'an 989 il tomba vers la ville de Venise, neige rouge comme sang: et que l'an 1565 en l'Evesché de dole, il pleut du sang en grande quantité. Ce qui advint la mesme annee le mois de Juin en Angleterre.
Note: Les pluies de sang sont rapportées depuis l'antiquité, comme les pluies de lait et les pluies de pierres, mais il n'est jamais dit qu'on vérifia qu'il s'agissait bien de sang ou de lait. Les pluies rouges ne sont pas rarissimes. Charles Fort en a compilé un certain nombre, et l'astrophysicien Jean-Claude Pecker se souvenait d'en avoir observé une en Angleterre.
Et non seulement se faict des choses monstreuses en l'air, mais aussi au Soleil, et en la Lune. Licostene escrit que durant le siege de Magdebourg , du temps de l'Empereur Charles cinquiesme, sur les sept heures du matin ,il apparut trois soleils, desquels celuy du milieu estoit fort clair les autres deux tiroyent sur le rouge, et couleur de sang, et apparurent tout le jour: Aussi sus la nuict apparurent trois lunes.Ce mesme est advenu en Baviere 1554.
Note: Paré montre bien ici qu'il ne connait rien aux choses du ciel. Ce qu'il décrit ici ce sont de classiques parhélies et parasélène, qui n'ont rien à voir avec le soleil ou la lune, mais sont des phénomènes atmosphériques et locaux.

Finalement Ambroise Paré est surtout coupable d'avoir ignoré le latin, et d'avoir parlé d'un sujet qu'il ne connaissait pas. Faute de savoir le latin, il a copié Boaistuau plutôt que Lycosthènes, dont il a seulement pris les images. Or, si Boaistuau écrivait des bétises, Paré, qui n'était pas spécialiste, ne pouvait pas le deviner, et recopiait en toute bonne foi ces mêmes bétises. Mais voila, étant devenu célèbre, alors que Boaistuau tombait dans l'oubli, C'est à lui qu'on attribua ces bétises. Et on le railla d'avoir vu une fantasmagorie sanglante dans la comète de 1528, et d'avoir situé en 1514, la chute de la météorité d'Ensisheim. Dans ce cas, si malhonnèteté il y a, elle est du coté de ses contradicteurs, qui ne sont pas donné la peine de lire intégralement ses oeuvres, pour y découvrir qu'il n'avait fait que copier Boaistuau. Mais manifestement, ils ne connaissaient les textes de Paré qu'à travers des sources de deuxième main (au mieux).

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Dernière mise à jour: 12/06/2022