1899 L'armée française s'intéresse aux Dogons.
C'est dans les années 1880, que les français entreprirent d'explorer le Soudan, en particulier à partir du Sénégal. On construisit même une voie de chemin de fer depuis Dakar jusqu'au Niger. Les revues de géographie de l'époque grouillent d'articles, souvent écrit par des militaires, sur cette exploration et ses résultats. C'est ainsi qu'en 1899, une lettre du capitaine Chanoine nous donne de précieux renseignements sur les Dogons, qu'on appelait alors les Habé
MISSION VOULET-CHANOINE
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Nous avons la bonne fortune de publier dans notre Bulletin, le travail ci-joint dont nous devons communication au général Chanoine, resté membre de notre Comité d'Études.
Sansanné-Haoussa (rive gauche du Niger, 100 kilomètres en amont de Say), le 5 janvier 1899.
MON CHER PÈRE,
Note: Le capitaine Julien Chanoine, auteur de la lettre ci-dessous, était fils du général Jules Chanoine
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La montagne de Bandiagara est un des importants accidents de terrain de l'Afrique, on la traverse près de Biou, entre San et Sono ct encore entre Sikasso ct-Bobo-Dioulaso ; elle se prolongerait, dit-on, davantage vers'le Sud. Au Nord elle continue au delà du Hombori qui est simplement la dénomination d’une de ses parties ; elle va sans doute jusqu'au Niger, à Fosaye et s'étend peut-être au delà. Elle a une longueur connue de plus de 1.000 kil. et sépare très nettement les bassins du Niger supérieur (Bani cet ses affluents: et du Niger moyen, du bassin des Volta. Elle en fournit une bonne partie des eaux qui, traversant Les sables du Séno, viennent sourdre 150 kil. plus au Sud.
 La montagne est habitée par une population très dense, que nous appelons improprement les « Habé». Le mot « Kado », au pluriel « Habé » est en effet Le nom général que donnent les Foulbé à toutes les populations noires, par antithèse avec eux-mêmes qui se considérent comme des étrangers. Le mot « Kado » signifie l'autochtone, le noir.
Les habitants de la montagne, se disent «Toma» ct d'origine «imandé ». Ils ont des noms païens très différents de ceux des Malinkès ct des Bambaras qui sont aussi des mandés. Il est probable qu'ils ont conservé sans altération leurs noms, tandis que dans tout le reste du Soudan, ceux-ci sont altérés ou changés, par imitation des noms musulmans ou de la Bible.
La montagne esl appelée dans le Soudan le « Tomakoulou ». (La montagne des Toma en langue bambara;
Les Habé ne sont pas tatoués ; ils sont robustes et plus musclés que les gens de la plaine ; ils ont les dents incisives limées en pointe ; leurs traits sont avenants. Ils ont une langue particulière, mais parlent aussi la langue des habitants de la plaine, soit le Poullo, soit le Bambara, soit le Songhay, suivant qu'ils sont en contact avec ces peuples : le Bambara du côté de Dienné; le Poullo de Baudiagara à Douentza, le Songhay près de Hombori.
De leur langue propre, il y a même plusieurs dialectes et l'on ne se comprend pas toujours entre habitants de villages éloignés.
Les Habé construisent des villages en pierres sèches et en terre qui, perchés au sommet de rochers presque inaccessibles défient toute attaque et semblent de loin des châteaux-forts inexpugnables. Daus certains villages, on n'accède qu'au moyen de troncs d'arbres et d'échelles. Les Habé sont sédentaires et ne s'arrachent qu'à regret à leurs rochers. Ils sont très bons cultivateurs, travaillent avec soin leurs champs qu'ils savent fumer ; ils récoltent beaucoup de miel, sont plus prévoyants que les autres Soudanais et emmagasinent de grands approvisionnements. Ils ont peu de bœufs, n'ayant pas de pâturages, mais un grand nombre de moutons et de chèvres. Ils fabriquent beaucoup de dolo (1) et le soir dans la montagne, c'est une grande orgie ; on bat le tamtam, on fait un vacarme infernal, on boit, on danse, on se grise. on tire des coups de fusil. Les Habé sont industrieux, ils tissent de la toile, qu'ils teiguent en noir ou en brun foncé, de sorte qu'on les distingue à peine, au milieu de leurs pierres ; ils sont presque tous armés de fusils qu'ils entretiennent avec le plus grand soin; ils fabriquent leur poudre eux-mêmes et comme projectiles se servent de cailloux ferrugineux.
Ils sont batailleurs, ils ont toujours défendu énergiquement l'accès de leur montagne, mais ils ne sont pas conquérants et ne s'aventurent guère pour combattre hors des derniers éboulis de la falaise, Les Foulbé, les Bambara, les Foutanké les ont soumis en les prenant par le ventre, en les empèchant de venir cultiver leurs champs qu'ils ont dans la plaine au pied de la falaise. Au milieu de leurs roches, bons tireurs, agiles, connaissant leur terrain, les Habé sont très redoutables.
Les villages Habé sont tous indépendants les uns des autres ; ce sont dans chacun les vieillards qui dirigent les affaires, de concert avec un fétichiste nommé « l'Ogom», lequel ne doit sous aucun prétexte, quitter la case où il opère ses maléfices et ses conjuralions. L'Ogom a la plus grande influcnce, personne n'ayant jamais pu convertir les Habé à l'Isfamisme ; les Foulbé fanatiques de Hamdallahé qui, cependant, firent peser sur eux une dure domination, y renoncèrent.
Actuellement les Habé du Sud de Bandiagara, obéissent assez bien ; quant à ceux du Dakol et de Bamba, il existe entre eux et le résident de Bandiagara une sorle de compromis ; ils vivent dans une presque complète indépendance, nous considérent avec indifférence et se contentent comme concession, de ne pas molester en ce moment les agents politiques et les gouverneurs Foutankès d’Agnibou, qui parfois pour la forme, vont sc promener chez eux.
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signé: Capitaine CHANOINE.
(1) Liqueur fermentée.
(Bulletin de la Société de Géographie de Lille, juin 1899, p. 358-360)
Note: Le capitaine Chanoine, comme son chef, le capitaine Voulet, se rendront tristement célèbre quelques mois plus tard. Manquant de moyens, il s'en procurèrent par des exactions au détriment de la population locale, dont l'écho parvint au ministère. Celui ci envoya le lieutenent-colonel Klobb pour relever les deux officiers de leur commandement. Mais Voulet fit fusiller Klobb, et les deux capitaines furent eux même abattus deux jours plus tard.
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Quelques années plus tard, il apparut que le capitaine Chanoine tenait probablement ses informations des ethnies voisine des Dogons, puisqu'il les appelait "Habé", nom donné par les Foulbé, et qui parait aussi vague et péjoratif que "nègre".
Traditions recueillis au Bandiagara en 1895.
HABÉ OU TOMBOKHO. — Informant : Un Habé de la montagne de Bandiagara.
Les Habé disent que le nom de Tombokho, au Tombo, leur a été donné par les Bambaras; eux-mêmes se nomment Dogom. Ils ont une organisation félichiste ; leur territoire est partagé en circonscriptions, sortes de diocèses, soumises à l'autorité religieuse et, par suite, à l'influence politique de chefs religieux nommés Ogous. Quand Tidiani a occupé ce pays, il y a groupé les villages en commandements, sans tenir compte des circonscriplions religieuses et sans s'appuyer sur les Ogous, L'état de trouble permanent de la montagne tenait probablement en partie à cette organisation défectueuse que nous avions respectée.
Rapprocher le titre « Ogou » du titre « Ogane » qui, dit Barth, était, au XVe siéele, le titre indigène du roi du Mossi.
Les Habé, ou Dogom, disent ètre d'origine mandingue. Habé est le pluriel régulier de Cado. C'est un mot que les Foulbé emploient, depuis le Macina jusque dans l'est de l'Adamaoua, etc., pour désigner les noirs habitant le pays.
V.-H. GADEN.
Note: Ce Tidiani est probablement Tidiani Tall, souverain des Toucouleurs, une ethnie voisine, de 1864 à 1888
(La Géographie, Bulletin de la Société de Géographie, tome X, 1904, p. 43)
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Ainsi, au début du XXe siècle, on savait que les Dogons, ne formaient pas une population uniforme, avec plusieurs dialectes, et autant de chefs religieux, Ogou, Ogom ou Hogom, que de villages. Il était donc bien imprudent de tenter de décrire une cosmogonie en n'en écoutant qu'un seul. C'est pourtant ce que fera Marcel Griaule.
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