Dans L'Abeille de la Ternoise, la science en marche!
Savantasse: Se dit d'un homme qui affecte de paraitre savant, mais qui n'a qu'un savoir confus.
Dans la série "le petit qui n'a pas peur des gros", l'Abeille de la Ternoise, l'hebdomadaire local de St Pol sur Ternoise, a réussi à faire l'article le plus copieux de la presse régionale, à propos du bolide du 18 octobre 1954. Et allons y pour un recolement des diverses observations, permettant une reconstitution de la trajectoire, une enquête avec un interrogatoire serré pour l'observation la plus intéressante, et une analyse savante des données récueillies, permettant de juger les théories en cours à propos des soucoupes volantes.
Le petit jeu de la trajectoire
Elle court, elle court la soucoupe, elle est passée par ici, elle repassera par là...
Hé oui, c'est puéril, mais c'est comme ça. Quand un chercheur prend les observations d'un bolide, voire celles d'un coucher de lune, pour celles d'un engin, il remarque que, toutes les observations n'ayant pas eu lieu à la même heure, il suffit de relier sur une carte les lieux des observations dans l'ordre chronologique pour obtenir la trajectoire de l'engin.
C'est ce qu'avaient fait les journaliste du Courrier Picard pour les observations (de la lune) du 3 octobre 1954, et que fit plus tard Charles Garreau pour celles du bolide de janvier 1954. Aimé Michel s'y essaiera aussi, avec le même résultat.
Nous avons signalé, dans notre dernier numéro, Le passage d'une soucoupe le lundi 18 octobre, entre 8 h. et 9 h. du soir d'abord à l'est de Doullens, puis sur Frévent et St-Pol, d'où le phénoméne (ou engin ?) prit la direction de la mer, Son itinéraire de Hem-Hardinval à Frévent est aujourd'hui établi. Elle passa à Montigny-les-Jongleurs, puis à Beauvoir-Rivière (Somme) à la limite du Ternois. Il semble qu'elle ait effectué une pause d'une demi-heure à trois quarts d'heure dans cette dernière commune, soit au sol, soit à très faible altitude.
(L'Abeille de la Ternoise, 30-10-1954, p 1)
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Ce qui donnerait la carte suivante.
Le parcours de la soucoupe du 18 octobre selon L'Abeille de la Ternoise
Fort des renseignements obtenus lors de son enquête, le Sherlock-Holmes de l'Abeille va maintenant utiliser sa science pour analyser ces données.
Noel Scott et sa cloche à air raréfié |
Il faut reconnaitre qu'il s'est bien documenté. Il connait la théorie des tourbillons d'électrons, manifestement appuyée sur les expériences faites en 1952 par le physicien Noel Scott, du Belvoir laboratory de l'armée américaine, qui avait reconstitué des bulbes d'air ionisé (et luminescent) dans une cloche à vide, ou plus exactement, à la pression régnant dans l'ionosphère terrestre.
Ces expériences dérivaient manifestement des expériences de la "Terrella" que Kristian Birkeland avait faite à partir de 1901 pour simuler une aurore boréale en laboratoire. La "Terrella" ( petite terre ) était une sphère aimantée placée dans une cloche d'air raréfié. Elle montrait des phénomènes lumineux similaires aux aurores.
Dans les expérienes de Noel Scott, il n'y a plus de sphère aimantée, car il ne s'agit plus de reconstituer des aurores boréales, mais simplement des phénomènes lumineux qui puissent être pris pour des "soucoupes volantes". On peut objecter que les phénomènes lumineux produits ne se manifestent que dans un air raréfié, donc à très haute altitude, et ne peuvent donc s'appliquer à l'ensemble des observations de soucoupes.
Cette théorie, est aujourd'hui oubliée, mais notre journaliste semble la connnaitre ( mais pas son objection ). Il va s'en servir d'une théorie similaire pour expliquer l'observation de Beauvoir-Rivière.
la toile grise effilochée de la partie supérieure ne cadrent pas du tout avec la silhouette d'un aéronef métallique, où d'autre matière, mème dans le crépuscule. Par contre ce flou cadrerait très bien avec une formation nébuleuse gazeuse.
Nous pensons ici à la théorie selon laquelle Les soncoupes « pourraient être » des tourbillons d'électrons groupés, et prenant forme de soucoupes, autour d'un « noyau de condensation » fourni, soit par une particule cosmique, soit par une particule radio active parmi les millions qui en ont été projetés dans la haute atmosphère par les explosions nucléaires,
Note: On veut bien que ces tourbillons aient une symétrie de révolution, mais on ne voit pas pourquoi ils devraient prendre la forme d'une soucoupe. On ne voit pas non plus pourquoi une soucoupe devrait se former à chaque passage de rayon cosmique. Pas davantage pourquoi il ne s'en forme pas des millions avec toutes ces particules radioactives. Enfin, rappellons qu'il faut une atmosphère raréfiée. A la pression atmosphérique normale, il n'y a guère que le "feu Saint Elme" qui puisse provoquer une luminescence par ionisation, mais il nécesite des pointes et un intense champ électrique.
A noter que cette théorie cadrerait avec l'épisode des fils de fer ronce, les tourbillons d'électrons étant connus étre repoussés par le métal.
Note: Ces fils de fer ronce ( ou barbelés ) étant couverts de pointes, et mis à la terre, on s'attendrait bien plutôt que notre tourbillon s'y précipitent pour s'y dissiper.
Quant au « feu » rouge diffus, il est admis que de tels tourbillons d'électrons peuvent créer des luminosités phosphorescentes diverses, au contact du gaz néon flottant dans les basses couches de l'atmosphére ( de la mème manière que le courant électrique, le fait dans un tube d'éclairage au néon). Les expériences faites montrent que cette coloration varie selon l'intensité de l'agent radio électrique qui les provoque: Rouge pour les intensités faibles (fréquence et voltage pour le courant électrique) puis orange, brun, violet, voire tirant sur le vert, quand elles augmentent.
Note: En réalité, le néon est un gaz rare de l'air qui n'en représente que 0,0018 %. Il ne flotte pas sous forme de bulles dans les basses couches de l'atmosphère et n'est pas présent dans les tubes d'éclairage qui utilisent de la vapeur de mercure.
À propos de cette question de luminosité, notons encore qu'à Beauvoir-Rivière où elle allait très lentement, la soucoupe ne présentait qu'une luminosité rouge à sa partie inférieure, tandis que la dizaine de Saint-Polois qui ont vu la soucoupe un peu plus tard (indiscutablement la méme) lui ont remarqué une queue éblouissante. L'émission lumineuse prend donc une intensité croissante avec la vitesse, la queue s'expliquant par le déplacement mème de « l'objet » dans l'air.
Note: On se demande bien d'où sort cette certitude que la soucoupe était la même, puisque l'heure et surtout l'aspect étaient très différents. Et on ne voit pas non plus pourquoi le déplacement devrait produire une queue, sauf si l'objet abandonne sa matière en route... comme un bolide justement. Et il parait bien difficile d'expliquer comment un tourbillon d'électrons pourrait se déplacer à la vitesse d'un bolide sans se désagréger.
Infirmation péremptoire de la théorie du lieutenant Plantier, selon laquelle les soucoupes seraient entourées d'une ceinture d'air se déplaçant avec elles : Dans ce cas il ne saurait en effet y avoir trainée Iumineuse, formant queue.
Note: là aussi, notre journaliste savantasse parait bien documenté: il connait la théorie du lieutenant Plantier, parue en 1953, mais ne semble pas y avoir compris grand chose. Car s'il admet que son tourbillon d'électrons laisse une queue du fait de son mouvement, pourquoi l'air rencontré par la soucoupe de Plantier ne pourrait il pas former lui aussi une queue ionisée.
(L'abeille de la Ternoise, 30-10-1954, p 1)
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Et voila: Le savantasse en pleine physique fiction. Il n'y a quasiment rien de vrai, et surtout rien de cohérent dans tout ce qu'il vient de raconter. Ce n'est qu'une simple rèverie qu'il aurait mieux fait de garder pour lui. Et le fait qu'il prétende infirmer la théorie de Plantier sur la base de l'analyse absurde d'un témoignage incohérent ne plaide pas en sa faveur.
Mais c'est un joli morceau de "crankitude" à verser au dossier.
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