La dissertation de l'abbé Duvoisin

L'abbé Jean-Baptiste Duvoisin, étudiant surdoué en théologie, puis professeur de théologie à la Sorbonne, fut un farouche défenseur de l'Église et de son enseignement, qui publia des ouvrages comme Autorité du Nouveau Testament, l'Autorité des livres de Moïse, en réponse aux dénigrements des philosophes de son temps. La révolution survenue, il fit partie des réfractaires, et dut s'exiler. Revenu en France à la faveur du concordat, il gagna le faveur de Napoléon et termina sa carrière comme évêque de Nantes.
En 1774, Dans l'esprit de ce temps, il publia une Dissertation critique sur la vision de Constantin, qui est une tentative de réfutation des arguments des sceptiques et surtout de ceux de Jacques-Georges de Chauffepié.

L'état de la question

Duvoisin commence par rappeler que personne n'a mis en doute la vision de Constantin jusqu'au XVIIe siècle. Puis il présente quelques auteurs qui ont publié des éléments de doute, comme Jacques Godefroy, en 1642, et Hoornbeeck en 1653. Il mentionne aussi les opinions corrosives des protestants Jacques Oisel et Jacques Tollius. Encore que l'opinion de Tollius se cache dans quelques notes en latin, d'une édition de Lactance. Il parait cependant que cette poignée de notes essuya plusieurs critiques. Il mentionne ensuite les dissertations favorables à l'apparition du père du Molinet et de l'abbé de Lestocq. Nous arrivons ensuite au XVIIIe siècle, et sont mentionnés la dissertation du père de Grainville, qui prouve la vision par les médailles de Constantin, une autre de Jean-Christophe Wolsius, et un chapitre du Traité de la relgion chrétienne, d'Abbadie, dont il avoue que les preuves ne sont pas toujours concluantes. Remarquant que ce sont surtout les protestants qui étaient sceptiques sur la vision de la croix, il cite encore les doutes de Basnage de Flottemanville, mais aussi les dénégations de l'abbé Moshem (en fait, le théologien protestant Johann Lorenz von Mosheim) dans son De rebus christianorum. Il cite même Christian Thomasius qui accuse Constantin et Eusèbe d'avoir trompé le peuple. Ensuite, il reconnait que le principal adversaire de la vision est M. de Chaussepié dont la dissertation se trouve dans une note de son dictionnaire au nom de Quien de la Neuville. Après quoi, il lui faut bien citer l'Encyclopédie, où le chevalier de Jaucourt a inséré la dissertation de Chaussepié, alors qu'elle n'aurait pas sa place dans un dictionnaire des sciences et des arts. Et, bien sùr, il ne peut ignorer Voltaire dans son Essay sur l'histoire générale. Cependant, entre ces points de vue opposés, il réussit à trouver une opinion médiane avec celle de Fabricius, pour qui il n'y a ni fraude, ni miracle, mais un phénomène naturel.

Des autorités qui déposent en faveur de la vision de Constantin.

Pour Duvoisin, Eusèbe tient le premier rang parmi les historiens de la vision, parce qu'il est contemporain, et rapporte le plus de détails. Duvoisin fait une confiance aveugle à Eusèbe, dont Voltaire avait pourtant montré qu'il était trop crédule pour être fiable. De fait, Duvoisin montre ici une remarquable naïveté, voyant dans la reconnaissance au labarum, une preuve de la vision, et confondant même le labarum avec la croix latine.
Duvoisin se donne ensuite beaucoup de mal pour expliquer pourquoi Lactance ne dit rien de la vision, et ne voit pas de contradiction entre les récits d'Eusèbe et de Lactance, bien que l'un parle d'un signe mis sur une enseigne, et l'autre sur les boucliers. On sent bien que pour lui, il faut sauver la vision.
Duvoisin appelle à la rescousse Optatien-Porphyre, poète chrétien, dans son Panégyrique, qui ne parle pas de la vision, mais présente des figures qui ne témoignent jamais que de l'existence du labarum.
Duvoisin cite ensuite deux panégyristes non chrétiens, un anonyme et Nazaire. mais il semble faire une confusion volontaire sur le sens du mot "céleste", en confondant le ciel des chrétiens et celui des astronomes. Cette confusion permet alors d'imaginer une allusion à la vision.
Vient alors le témoignage d'Artémius, bombardé saint pour plus d'autorité, car il fut martyrisé. Si on en croit la citation, le signe de la croix paru dans le ciel, plus brillant que le soleil, avec une inscription en lettres d'or. Mais on voit mal qu'Artémius ait pu ragarder un objet plus brillant que le soleil, et ce qu'il aurait du voir était un labarum, et non une croix. Et quand Artémius dit qu'il a vu lui même le signe, il se pourrait que ce signe fut tout simplement le labarum que fit fabriquer Constantin. D'ailleurs Duvoisin admet que Métaphraste, qui rapporte le récit d'Artémius n'est pas fiable, et mélait souvent des fables à ses vies des saints.
Vient ensuite Prudence, dont le texte rend un magnifique hommage au labarum, mais sans prouver la vision en quoi que ce soit.
Rufin, cité ensuite, n'est pas d'un grand secours, car il ne confirme que le songe de Constantin.
puis vient Philostorge, dont nous ne connaissons malheureusement que l'abrégé par Photius, qui reconnait que Philostorge raconte la conversion de Constantin de la même manière que les autres historiens. Cependant le récit dit que Constantin vit dans le ciel le signe de la croix, formé d'un tissu de lumière, et accompagné d'une multitude d'étoiles dessinant en latin vainquez par ce signe. Or, cela correspond mal au récit d'Eusèbe.
Arrivent alors Socrate, Sozomène et Théodoret, trois historiens du Ve siècle. Le premier ne fait jamais que s'inspirer de Constantin, le deuxième ne parle que du songe, et le troisième ne dit rien du tout, car il ne fait que prolonger l'histoire d'Eusèbe.
Gelase de Cyzique, écrivain du Ve siècle, raconte que lors de la bataille (du pont Milvius), Dieu montra le signe de la croix rayonnant dans le ciel, avec l'insciption vainquez par ceci. Il ajoute que les infidèles y voient une fable, alors que les croyants l'admettent, mais il commet au moins deux erreurs: ce n'était pas une croix, et ce n'était pas le jour de la bataille.
Duvoisin présente ensuite un auteur anonyme, chez qui la vision a lieu tantôt après de début de la bataille, tantôt avant, puis il cite six noms d'auteurs ecclésiastiques, et plusieurs autres écrivains dont il avoue qu'ils sont de beaucoup postérieurs à l'évènement.
Devoisin fait alors appel aux monuments publics, mais qui ne font jamais que prouver l'existence du labarum, et de la croyance à la puissance de ce signe céleste, sans rien prouver pour la vision diurne.
Devoisin va même jusqu'à récupérer comme preuve la fête de l'exaltation de la sainte croix, qu'on pourrait croire liée à la découverte de la croix cu Christ, mais qui selon lui, commémorerait la vision de Constantin. Visiblement, il fait feu de tout bois.

L'abbé Devoisin ferraille contre ses contradicteurs.

Puisque la source initiale est le récit d'Eusèbe, la première chose à faire est de défendre Eusèbe, contre les vilains sceptiques qui supposent une fraude, soit d'Eusèbe, soit de Constantin. Pour Devoisin la vision céleste est un fait public, ayant eu autant de témoins que de soldats dans l'armée de Constantin, mais il veut oublier que ce détail n'est affirmé que par le seul Constantin. L'histoire aurait été révélée, soit peu de temps après la défaite de Maxence, soit dans les dernières années de son règne. La deuxième hypothèse lui parait invraisemblable. Pourtant, c'est la plus probable, car Eusèbe n'apprit la vision que quand il fut dans les bonnes graces de l'empereur, et il ne la connaissait pas lorsqu'il rédigea son Histoire de l'Église, douze ans après la bataille. L'abbé Duvoisin oublie que les arguments qu'il emploie ne tiennent que si la vision a bien eu lieu devant toute son armée.
L'abbé Devoisin va maintenant ferrailler contre De Chaussepié.
Pour cela, il va citer intégralement les passages contestés, puis il va les balayer sous le poids de sa propre opinion, en oubliant constamment que ses arguments ne tiennent que si la vision a bien eu lieu devant toute l'armée. Est-ce de l'inconscience ou de la mauvaise foi? En tous cas, sa prose est d'une lecture pénible.
Il va encore défendre Eusèbe par des moyens bien connus: citer les auteurs qui l'arrangent et ignorer ceux qui ne l'arrangent pas, quitte à faira appel à des auteurs qu'il dénigrait quelques pages plus haut. Il va aussi supposer à tour de bras, sans la moindre preuve, sur la seule base que l'inverse n'est pas prouvé non plus.
Là où Duvoisin pousse le bouchon un peu loin, c'est quand il prétend prouver la vision par le silence des auteurs païens. Il ose écrire: Le silence des payens, nos ennemis, sur un prodige favorable au christianisme, équivaut aux témoignages les plus exprès. En particulier, il mentionne comment l'empereur Julien ayant composé un gros livre contre le christianisme, Cyrille d'Alexandrie en réfuta les passages les plus importants, sans qu'on y trouve trace de la vision. Dans un autre ouvrage de Julien, où il dit pis que pendre de Constantin, il n'est toujours pas question de la vision. Et pas davantage chez l'historien Zosime. La conclusion de Duvoisin: Ne point contester un prodige de cette nature, lorsqu'on peut le faire avec avantage, c'est l'avouer tacitement.. Duvoisin insiste avec un nouveau chapitre où Chauffepié s'attaque à Abbadie sur le même problème du silence païen. Ben voyons! Si le silence est d'or, c'est qu'il est révélateur. Et la preuve qu'il existe des licornes roses invisibles, c'est qu'on ne les voit pas.
Duvoisin continue en prétendants que les grands évènements qui ont suivi sont encore la preuve de la vision, alors qu'ils ne sont la preuve que de la conversion de Constantin.
Il pretend ensuire réfuter les arguments de Voltaire, qui par exemple s'étonnait qu'une inscription vue en Gaule fut écrite en grec. Et de prétendre que la vision fut observée à Rome, contre l'opinion d'aujourd'hui.
Il réfute aussi l'hypothèse de Fabricius d'un phénomène naturel. Il ignore le phénomène des croix parhéliques, mais il faut reconnaitre que ce phénomène ne rend pas compte de l'inscription.
Dans l'ensemble, Duvoisin raisonne comme si la vision avait été connue de tout le monde dès l'an 312, alors qu'elle ne fut connue que des seuls lecteurs de La vie de Constantin d'Eusèbe, écrite entre 337 et 339. Et maintenant voici sa conclusion.

CONCLUSION.

J'AI rapporté fidellement, et si je l’ose dire , avec plus d'étendue qu’on ne l’avoit fait jusqu’alors, tout ce qui m'a paru propre à constater le fait de l’apparition miraculeuse. J'ai produit des témoignages d'Historiens, de Poëtes et d'Orateurs contemporains (1). J’ai fait voir que ce prodige attesté par les écrivains du quatriéme siécle , étoit unanimement et hautement reconnu dans le cinquiéme et dans les suivans (2). J'ai prouvé, et par les aveux de quelques Payens, et par le silence des autres, que les ennemis de la religion Chrétienne avoient été forcès d'en convenir, quelqu'intérêt et quelque facilité qu'ils eussent eu de le réfuter, s'il n’eût pas été vrai (3). J'ai montré que dans la supposition que je combattois, on ne pouvoit rendre raison, ni de la conduite de l'Empereur après sa victoire, ni de l’assurance avec laquelle les Chrétiens ont parlé de la vision céleste , ni du silence que les Payens ont gardé sur cet cet événement (4). J'ai fortifié toutes ces preuves par l'autorité d'une foule de monumens, dont les uns sont encore sous nos yeux, et les autres nous sont connus par l'Histoire: des statues , des inscriptions , des médailles , la nouvelle forme et l’ufage du Labarum, l'institution d'une fête religieuse (5 ): monumens publics, solemnels , érigés dans le temps même de la vision miraculeuse, et qu'il est impossible de ne pas rapporter à cet événement ( 6 ).
  D'un autre coté, je n’ai pas dissimulé les raisons qui ont engagé plusieurs savans à révoquer en doute, ou même à nier absolument la vérité de ce prodige. J'ai transcrit de la Dissertation de M. de Chauffepié tout ce qui m'a paru former quelque difficulté réelle. J'ai tâché d'y réjondre. La cause est instruite : c'est au Lecteur à prononcer.
(1) Prem, partie. $ $. I. IL. II. IV. V.
(2) Prem. partie. $ $. VII. VIII. IX. X. XI, XII.
(3) Prem. partie, $. V. Seconde partie, $. XII.
(4) Seconde partie. $. XIII.
(5) Prem. partie. $. XIII.
(6) Seconde partie. $. X.

Abbé DUVOISIN, Dissertation critique sur la vision de Constantin, Paris, Du Puis, 1774

Nous pouvons conclure, nous aussi, comme l'auteur nous y invite. L'abbé Duvoisin a simplifié le problème en en faisant une dichotomie, et l'a placé dans le cadre qui lui convenait, alors que tout ne tient qu'à un passage d'Eusèbe, écrit, s'il est bien d'Eusèbe, entre 337 et 339, sur la base du témoignage d'un empereur vieillissant, qu'Eusèbe ne soupçonne pas d'avoir pu se tromper. L'abbé Duvoisin a choisi ce qui l'arrangeait et déprécié les arguments qui ne l'arrangeaient pas. Par exemple, il faut qu'Eusèbe soit un historien fiable, donc, il veut ignorer ce qu'en dit Voltaire, qui pourtant donne des raisons d'en douter. Pour l'abbé Duvoisin, il fallait sauver ce brillant témoignage de la vérité de la religion chrétienne, qui ne pouvait être qu'un authentique miracle. En conséquence, les arguments qui prouvaient le miracle étaient forcément vrais, les arguments contraires, forcément faux, et Voltaire, qui ne croyait pas aux miracles, avait forcément tort. C'est typiquement un raisonnement d'ecclésiastique du XVIIIe siècle.
Seul aspect positif de son livre: Il donne les références de tous les auteurs ayant traité du sujet.

Dernière mise à jour: 11/11/2023

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